Le 28 mars, le gouvernement du Québec a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 49 millions à la ville de Québec pour décarboniser son parc immobilier et installer des bornes de recharge publique pour les voitures électriques. C’est en donnant l’exemple, comme avec la construction du nouveau bâtiment de la CNESST dans l’écoquartier D’Estimauville, que le gouvernement compte initier le changement dans le secteur du bâtiment. Mais ces bonnes intentions pourraient de ne pas suffire.

Le gouvernement provincial souhaite atteindre la carboneutralité de son parc immobilier d’ici 8 ans (2030). C’est un objectif bien plus ambitieux que celui du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), fixé à 2050. Dans son dernier rapport, le GIEC encourage notamment la carboneutralité du secteur immobilier par la rénovation des bâtiments existants et l’utilisation de « technologies d’atténuation » pour ceux qui sont en construction.

Le plan de décarbonisation des immeubles de la ville de Québec est actuellement en élaboration, « autant pour les édifices municipaux, publics et privés », indique Audrey Perreault, porte-parole à la planification et l’aménagement du territoire et à l’urbanisme de la Ville de Québec. « Les détails seront connus le moment venu », précise-t-elle.

Décarboner le parc immobilier n’est pas impossible, mais c’est une tâche colossale. – Pierre Blanchet, ingénieur forestier

Il y a tellement de sortes de construction et d’enveloppes différentes utilisées à travers le temps, qu’il faudra « à chaque fois une stratégie personnalisée pour chaque bâtiment », estime Pierre Blanchet, professeur à l’Université Laval. Décarboner — et non décarboniser ; voir notre illustration ci-dessous — demande une mise en œuvre uniformisée qui risque d’être difficile à atteindre, prévient-il.

Définition Décarboner-Décarbonisation

C’est qu’il y a « un trou actuellement dans la vision gouvernementale » au niveau du bâtiment durable, relève Pierre Blanchet. Les politiques manquent de clarté quant aux choix des matériaux et de leur impact environnemental, estime le directeur des programmes de 2e et 3e cycles en génie du bois et des matériaux biosourcés de l’Université Laval.

Portrait Pierre Blanchet
Pierre Blanchet est titulaire de la Chaire industrielle de recherche du CRSNG sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB). Il a participé à des projets de recherche avec l’Université Laval lorsque la Cité Verte (Saint-Sacrement) était en conception. (Photo : Université Laval)

« C’est définitivement l’endroit où on pourrait faire une très grande différence, mais où actuellement on n’est pas présent en termes de législation pas plus qu’en termes de parc immobilier gouvernemental. »

Stratégies d’écoconstruction

Travailler sur l’efficacité énergétique des bâtiments est l’option la plus accessible, pense monsieur Blanchet. Le Québec a l’avantage de posséder l’hydroélectricité, une source d’énergie à faible impact environnementale. D’ailleurs, l’arrêt de l’utilisation du mazout pour un passage à l’électricité est d’ailleurs un des objectifs gouvernementaux pour 2030.

Cependant, plus l’efficacité énergétique des bâtiments est maîtrisée, plus le choix des matériaux et de l’énergie associée à la fabrication des matériaux est important, alerte Pierre Blanchet. Au Québec, le ratio est de 40% pour l’impact dans le bâtiment associé à sa consommation énergétique d’utilisation, et 60% associé aux matériaux qu’on a choisis pour construire. Alors qu’en France, le ratio est complètement inversé par exemple.

Lors de la candidature d’un projet et d’un bâtiment pour la certification, les professionnels peuvent choisir différentes cibles dans la certification LEED (voir notre capsule vidéo ci-dessus), explique Geneviève Mainguy, architecte associée et d’ailleurs professionnelle accréditée LEED au cabinet TERGOS.

Geneviève Mainguy
Geneviève Mainguy est Directrice des opérations architecture de TERGOS dont elle est la fondatrice. Elle a notamment participé aux projets Habitus, Un Toit Vert et le Destimo, des bâtiments résidentiels dans les écoquartiers de Québec. (Photo : TERGOS)

Pour les écopropriétés Habitus de Pointe-aux-lièvres, TERGOS a fait une sélection des matériaux pour obtenir des points par rapport à la provenance locale, dans la recherche de la certification LEED. Cela reste quand même des matériaux assez simples, comme de la brique, précise la directrice architecture de TERGOS. « On a choisi une brique qui vient de l’Ontario, qui était à l’intérieur du périmètre maximal prescrit par LEED. C’est un rayon à partir de la position du chantier. » L’avantage est que ce rayon n’a pas de frontière administrative ou politique, outre les barrières naturelles comme l’océan.

S’il est vrai que le coût peut être un peu plus élevé lorsqu’on cherche à obtenir une certification, comme « pour bonifier par exemple la gestion des eaux de pluie en souterrain ou l’occultation solaire avec des pare-soleils », Geneviève Mainguy affirme que le code du bâtiment devient de toute façon « plus exigeant au niveau de la performance énergétique ».

La certification Novoclimat, par exemple, qui établit des normes essentiellement sur la performance énergétique des bâtiments est « assez facile à aller chercher », estime Madame Mainguy, puisqu’elles sont actuellement assez proches de celle du code du bâtiment. L’avantage de construire dans des normes de développement durable, outre la certification, c’est surtout la pérennité du bâtiment, assure-t-elle.

Les écoquartiers de Québec

L’architecture durable est une pondération de différents éléments et de différents critères. « Le casse-tête énergétique en est un parmi d’autres », car le plus gros impact, c’est la géolocalisation des écoquartiers, affirme la directrice de Directrice des opérations architecture de TERGOS.

En effet, les écoquartiers sont traditionnellement établis sur des friches urbaines, des terrains qui ne sont pas valorisés. Rachetés par la ville, ils sont démolis au besoin, décontaminé puis « mis à la disposition des promoteurs avec des incitatifs. » La Ville veut faciliter le développement de ces terrains-là, au centre-ville ou dans les quartiers centraux, pour garder des résidents au centre-ville près de leur travail, explique Madame Mainguy.

Le choix de l’écoquartier, c’est le choix de la proximité et de la mobilité écoresponsable, avec le vélo, la marche, les transports en commun et le co-voiturage.

« Un ménage qui va habiter au centre-ville, dans sa petite maison écologique, va avoir un impact sur l’environnement Bien moindre que celui qui va être dans une maison unifamiliale à Sainte-Brigitte-de-Laval et qui vient travailler en ville. » – Geneviève MAINGUY

La ville de Québec a encore trois terrains dans l’écoquartier Pointe-aux-lièvres (voir notre diaporama ci-dessus). Les travaux de démolition sont bien avancés. Ils seront suivis prochainement par les travaux de décontamination qui devraient finir probablement en décembre 2022, rapporte Audrey Perreault, conseillère en communication à l’urbanisme de la Ville de Québec. La vente des terrains municipaux pourrait avoir lieu en 2023, estime-t-elle.

Dans l’écoquartier D’Estimauville, deux terrains ont été vendus fin 2020. La conception architecturale est toujours cours. « La construction d’un des deux projets devrait débuter à l’automne 2022 et l’autre en 2023. », indique Madame Perreault.

D’autres écoquartiers devraient voir le jour à Québec, notamment sur la 41e rue et la rue de Verdun. Le développement de la 41e rue fait partie de la Vision d’aménagement pour le secteur de la 1re avenue, précise Audrey Perreault. « Ce secteur est donc toujours à l’étape de planification et les citoyens seront consultés le moment venu. » Elle ajoute concernant la rue de Verdun que « la Ville est à l’étape de la préanalyse » et que « le moment venu, les citoyens seront aussi invités à participer à des activités de participation publique. »

Les écoquartiers sont toujours de très belle occasion de faire des démonstrations d’architecture et de technologie de développement durable. Elles permettent de valoriser des décisions différentes et des stratégies transparentes, comme les appelle Pierre Blanchet.

Les écoquartiers permettent donc de développer des idées qui « pourraient être implantées de façon plus large, mais qui malheureusement ne peuvent avoir un impact que si ça fait partie d’une stratégie gouvernementale ou réglementaire », constate-t-il.