Les fêtes de fins d’année représentent un enjeu considérable autant pour les magasins que pour les restaurants. En cette période de « pénurie » d’emploi au Québec, le domaine de la restauration connaît de nombreuses difficultés. Les cuisiniers, les aides-cuisiniers ou les plongeurs, dénonçant les inégalités salariales et les conditions de travail, se font rares. 

Portrait d’un propriétaire de restaurant : de la gestion à la cuisine

Le propriétaire du restaurant Le Grand Café sur Grande-Allée, est obligé de passé en cuisine. Cette rue, très fréquentée de la ville de Québec, est un emplacement avantageux. Si tout va bien au niveau des visites, ce n’est pas le cas pour la cuisine.

Christopher raconte les difficultés rencontrées lors du recrutement en expliquant à quel point les médias sociaux sont indispensables dans ce processus. Ce sont ces mêmes difficultés qui l’ont amené à devenir le cuisinier responsable à quelques occasions.

Cette période de pénurie d’emploi à un impact considérable sur le fonctionnement de son établissement. Il explique à quel point il est difficile de travailler sur l’amélioration de son service sachant que tout va mal en cuisine.

Le taux de rotation des employés est tel que la qualité aussi s’altère, que ce soit dans l’assiette ou les relations de travail entre les autres employés. Cela entraîne des complications au sein de la cohésion de l’équipe.

Au niveau des solutions pour la période des fêtes, les choses se compliquent. Pas de solution magique pour notre restaurateur si ce n’est de rappeler les anciens employés de l’établissement pour renforcer l’équipe. Quant au partage des pourboires entres les employés en salle et en cuisine, il attend que la décision devienne officielle et légale pour l’appliquer. Pendant ce temps, le propriétaire continue d’offrir un salaire compétitif et d’autres avantages aux employés.

Et l’Association des Restaurateurs du Québec (ARQ)dans tout ça ?

Martin Vézina, conseiller en communication et affaires publiques de l’ARQ, explique que le rôle de l’ARQ est de rassembler les restaurateurs de la province et de partager toutes les informations pouvant être utiles (rabais, formation, assurances…). Cette association est très active sur les médias sociaux, partageant les moments forts de ses activités de rassemblement.

L’association est concernée par cette période de pénurie d’emploi et elle essaye tant bien que mal d’apporter un support aux restaurateurs. Elle offre des ateliers et des rencontres pour mettre en exergue les difficultés rencontrées, mais ne fait  pas vraiment du cas par cas.

« C’est difficile d’apporter une aide aussi micro. Nous c’est au niveau macro qu’on va intervenir […] Ce problème de pénurie de main-d’oeuvre c’est quelque chose de structurel, on parle d’un problème démographique. […] Si on regarde juste la population des travailleurs âgés de 15 à 24 ans, cette catégorie-là va décroître de 9 % d’ici 2021. Ce bassin-là va se rétrécir, donc, ça va être plus difficile de recruter, alors il faudra trouver de nouveaux moyens »— Martin Vézina.

De nouveaux moyens certes, mais comment ? Sachant que le recrutement est l’étape la plus difficile, voici les solutions propulsées par l’association :

« On peut toucher à plusieurs mesures, que ce soit de valoriser les métiers de la cuisine auprès de la relève en rappelant que c’est un métier qui peut être intéressant, qui est stable, en rappelant que 68 % de nos travailleurs trouvent qu’il y a une belle stabilité dans notre industrie et on peut gravir les échelons, et aussi la flexibilité des horaires. Il faut montrer ce côté-là de la restauration et arrêter de juste se baser sur le fait que c’est un métier difficile » — Martin Vézina.

D’après une étude réalisée en 2016, l’insatisfaction des employés en cuisine est de 43 % comparée à 24 % en salle. Cet écart est dû à une inégalité des revenus causée par les pourboires obtenus en salle. Les cuisiniers se plaignent que le salaire perçu n’est pas “proportionnel à leurs tâches, formation, compétences et ancienneté”.

L’ARQ propose alors la solution du partage des pourboires et justifie son idée, même si elle ne fait pas l’unanimité chez tous les restaurateurs :

« On voit de plus en plus d’iniquité au niveau de la rémunération. Les gens de cuisine gagnent de 15 à 16 $ de l’heure, tandis que les gens de salles font 20 ou 26 $ de l’heure en considérant le pourboire. […] et si on augmente le salaire en cuisine, on va indirectement augmenter les coûts. Si on augmente les prix, on va indirectement augmenter les pourboires et on va continuer à maintenir cette inégalité-là » — Martin Vézina.

Ainsi, le partage de pourboire devrait pouvoir réduire cette inéquité-là et permettra au cuisinier de se sentir plus valorisé puisqu’ils recevront un pourboire, signe de gratitude venant directement du client.

 

La rareté de la main d’oeuvre

Kamel Beji est professeur titulaire au département des relations industrielles au sein de la faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Il donne la définition du plein emploi en rappelant que toutes les capacités productives d’une économie sont utilisées.

« Par exemple, dans un pays  il y a trois machines et des terres: les terres sont utilisées à 24/24 et les machines sont pleinement utilisées. Au delà de ça, les personnes qui ne travaillent pas s’appellent des chômeurs naturels. Le plein emploi c’est vraiment l’utilisation des capacités d’emploi » — Kamel Beji.

Par ailleurs, il rappelle qu’une analogie est souvent faite entre la pénurie d’emploi et le plein emploi et cela porte à confusion. Pour les restaurateurs de Québec, il s’agit bel et bien d’une pénurie d’emploi du personnel de cuisine.

« Le mot pénurie ça veut dire qu’il n’y a pas de main d’oeuvre, on doit arrêter de l’utiliser. C’est une “rareté” de main-d’oeuvre parce qu’il n’y a pas un domaine où il n’y a personne qui travaille là. Il y a des domaines où la main d’oeuvre est plus ou moins rare. Au contraire, quand il y a un plein emploi, ça veut dire qu’il n’y a pas de pénurie, il n’y a pas de rareté. Ça veut dire que tout est occupé. Par contre quand il y a des problèmes de pénuries et de raretés, ça veut dire que tout n’est pas pleinement employé » — Kamel Beji.

Quant aux conditions de travail, ce ne sont pas les plus avantageuses pour les employés en cuisine. Cela peut avoir un impact sur leur productivité ou même leur motivation à venir réaliser un quart de travail. Pour lui, l’environnement et le salaire sont en parties responsables du manque d’attractivité de cette profession.

Monsieur Beji souligne par ailleurs qu’il n’y a pas une grande tendance chez les jeunes à aller prendre des qualifications comme celle-ci, même si quelques-uns le font, il y en a de moins en moins.

« C’est un domaine où c‘est dur de percer, c’est-à-dire comme un bon cuisinier et trouver un bon salaire pour ça. C’est pour ça que ce n’est facile de trouver un bon cuisinier » — Kamel beji.

Enfin, il définit le salaire d’efficience par le fait de « donner des salaires supérieurs au salaire du marché pour attirer les gens », pour avancer son opinion concernant le partage de pourboire. Selon lui, cette technique efficace dans de nombreux domaines, ne l’est pas forcément pour la cuisine. Un cuisinier mérite d’être rémunéré pour ses tâches et ses compétences, pas pour le service en salle. D’après le professeur, partager les pourboires ne permettra pas vraiment de réguler la situation.

 

Les étudiants-cuisiniers en renfort

D’après Sophie Carrier, conseillère d’orientation à L’École hôtelière de la Capitale, l’école autorise les restaurateurs à proposer des emplois à temps partiel et des stages, mais pas des emplois à temps plein surtout que les étudiants n’ont pas fini leur formation. Souvent, ces étudiants reçoivent des offres d’emplois après leur stage. Par ailleurs, les demandes augmentent en fonction des grandes saisons touristiques (juin et décembre).