Le Projet Mauricie de TES Canada en bref

TES Canada a l’intention de contribuer à la transition énergétique du Québec par son Projet Mauricie. En construisant une usine qui produira de l’hydrogène vert et du gaz naturel synthétique, l’entreprise prévoit réduire de 800 tonnes le dioxyde de carbone (CO2) émis dans la province, ce qui représente 3 % de l’objectif québécois de décarbonation pour 2030. Elle compte y parvenir par la construction d’un électrolyseur à Shawinigan, alimenté par un bloc d’énergie de 150 mégawatts (MW) consenti par Hydro-Québec, un parc éolien de 800 MW et une centrale solaire de 200 MW. Le projet nécessitera un investissement de 4 milliards de dollars.

Ce parc éolien serait établi dans les MRC de Mékinac et des Chenaux. En tout, plus d’une centaine d’éoliennes seraient installées. TES Canada prévoit que le projet aura des retombées économiques importantes. Des redevances sont prévues pour les propriétaires des terrains, leurs voisins ainsi que les municipalités. TES Canada promet également que 1000 emplois seraient créés pendant la phase de construction en plus de 200 emplois permanents pour l’exploitation du site.

L’UPA soutient ses membres

Le projet éolien TES Canada en Mauricie suscite des réactions mitigées dans le milieu agricole. L’Union des producteurs agricoles (UPA) se positionne assez fermement pour la protection des terres cultivables, tout en reconnaissant les intérêts divergents de ses membres. 

Stéphane Tremblay, directeur aménagement et agroenvironnement pour l’UPA Mauricie (photo : Stéphane Tremblay).

« Notre dicton, c’est zéro perte nette », martèle le directeur aménagement et agroenvironnement pour l’UPA Mauricie, Stéphane Tremblay. L’UPA est inquiète que ce projet d’éoliennes entraine la perte des terres agricoles, une ressource déjà limitée au Québec. Il rappelle que « l’ensemble du territoire québécois, c’est 4 % qui est en zone verte, et de ce 4 %, il ne reste que 2 % qui est cultivable ». M. Tremblay insiste également sur l’importance de la différence entre les zones vertes et les terres cultivables, et craint que cela ouvre la voie à d’autres initiatives empiétant sur d’autres terres agricoles disponibles.

Un modèle de pancarte contre le projet TES Canada fournie par l’UPA (photo : Émile Héroux).

Depuis l’annonce du projet, l’UPA a travaillé en étroite collaboration avec TES Canada ainsi que les MRC de Mékinac et des Chenaux. Plusieurs avancées ont été réalisées, notamment l’amélioration du contrat proposé aux agriculteurs. Stéphane Tremblay explique que l’UPA a fait analyser le contrat à ses frais par ses avocats. « On a trouvé entre 100 et 120 coquilles », affirme M. Tremblay. Après cette intervention, le contrat de TES Canada a été modifié pour mieux protéger les intérêts des producteurs agricoles.  

TES Canada semble également avoir entendu les préoccupations de l’UPA concernant l’utilisation de terres cultivables. Selon M. Tremblay, lors de la dernière rencontre entre les deux parties, l’entreprise prévoyait d’implanter moins d’éoliennes en terres cultivables.

Néanmoins, des préoccupations persistent. De fait, l’UPA s’inquiète, entre autres, de l’absence d’études concernant l’impact des infrasons des éoliennes sur la santé des animaux des fermes. Aussi, la question du démantèlement des éoliennes après leur durée de vie reste en suspens.

Stéphane Tremblay réitère que le projet de TES Canada est loin d’être parfait, notamment car la construction d’éoliennes peut bouleverser les activités agricoles et qu’elles peuvent nuire aux agriculteurs voisins. L’UPA se positionne donc comme un défenseur de tous ses membres, qu’ils soient favorables ou défavorables au projet.

Un projet qui divise

Le projet de TES Canada crée une division dans la population. Alors que certains y voient une opportunité pour l’économie de la région et pour la production d’électricité, d’autres s’y opposent fermement. Des citoyens impliqués expriment leurs points de vue divergents dans la vidéo ci-dessous.

Claude Baril est en faveur du projet. L’homme d’affaires dans le domaine de l’alimentation, maintenant retraité, croit que le Québec doit diversifier ses sources d’énergie. Il faut oser, selon lui, pour répondre à la demande en énergie grandissante et il considère que l’éolien est une technologie éprouvée. Il appuie aussi le projet parce qu’il veut revitaliser son coin de pays. Il espère que les emplois créés pour la construction et l’exploitation du site convaincront des gens de demeurer dans la région et inciteront des jeunes à s’y établir: «Il faut être proactif aujourd’hui et ne pas avoir peur de sortir des sentiers battus», insiste-t-il.

Certains producteurs agricoles ont aussi été séduits par les redevances promises par TES Canada, selon Stéphane Tremblay de l’UPA. Ces sommes d’argent représentent des revenus qui peuvent leur permettre « d’arrondir leurs fins d’années ».

Quant aux porte-parole du collectif Toujours Maîtres chez nous, ils voient la chose d’un tout autre œil. René Beaudoin, qui demeure à Sainte-Geneviève-de-Batiscan et représente la MRC des Chenaux au sein du collectif, affirme que le projet de TES Canada est un non-sens dans les zones habitées et agricoles. Il dénonce aussi le fait que ce projet ouvre la porte à la privatisation de l’électricité. 

Carole Neill, qui représente la MRC de Mékinac, considère que la fabrication d’hydrogène vert est un « gaspillage éhonté d’électricité ». Elle déplore que Saint-Adelphe, le village où elle habite et celui qui accueillera le plus grand nombre d’éoliennes, soit transformé en zone industrielle pour permettre à une entreprise privée de faire du profit en s’appropriant le potentiel énergétique de l’endroit. C’est Hydro-Québec ou la MRC, selon elle, qui devrait exploiter le potentiel énergétique de la région. 

On est farouchement contre la privatisation de l’électricité, donc contre le projet de TES Canada.

Carole Neill,

M. Beaudoin ajoute que la construction d’un parc éolien suscite beaucoup d’inquiétudes, notamment en ce qui concerne la qualité de vie des citoyens, leur santé et la valeur des propriétés. Il souligne qu’il n’y a pas assez d’études sur le sujet et voudrait que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se penche sur la question. Entre-temps, il demande un moratoire sur les projets éoliens.

Selon Mme Neill, les retombées économiques promises sont une illusion. Elle juge que cela revient à renoncer à des revenus qui bénéficieraient à toute la société à long terme pour des avantages financiers à court terme, comme la période de construction du site sera relativement courte et les redevances faibles, si l’on considère le nombre de personnes et de municipalités impliquées et la durée des ententes. 

Claude Baril croit pour sa part que les impôts payés par TES Canada ainsi que ses employés profiteront à tous et que la venue de travailleurs en Mauricie contribuera grandement à l’économie de la région. 

Vers la décarbonation du Québec 

Le Projet Mauricie de TES Canada s’inscrit dans les différentes stratégies mises en place par le gouvernement du Québec pour réussir une transition énergétique. L’objectif est de transformer une économie qui repose sur les énergies fossiles vers une économie carboneutre. Grâce à l’hydroélectricité, l’énergie éolienne et la biomasse, 49 % de l’énergie produite dans la province est déjà issue de l’énergie renouvelable. La province répond donc aux besoins énergétiques des secteurs d’activité économiques commercial, institutionnel et résidentiel en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Les secteurs du transport et de l’industrie restent cependant dépendants des énergies fossiles. En effet, les procédés industriels, tels que la production de ciment et d’aluminium et la chimie verte (engrais azoté) peuvent difficilement être alimentés par l’électricité. Il en est de même pour le camionnage et la machinerie lourde, pour qui le rechargement et le poids des batteries pose problème. 

Mondialement, l’hydrogène vert est considéré comme une alternative intéressante aux énergies fossiles. Il permet notamment de remplacer le mazout, le pétrole et le diesel dans les procédés industriels nécessitant de hautes températures. L’hydrogène vert peut également remplacer les hydrocarbures dans le domaine du transport. Le Québec souhaite devenir un leader mondial dans la production d’hydrogène vert. La province possède déjà une expertise de recherche et développement reconnue dans le domaine et, en 2022, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a adopté la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies. L’objectif de cette stratégie est de décarboner les secteurs d’activité économiques les plus polluants à l’aide d’énergie renouvelable. Selon le gouvernement du Québec, la décarbonation de ces secteurs avec l’hydrogène vert et les bioénergies réduirait l’émission de gaz à effet de serre de quatre mégatonnes de CO2 par année. Pour atteindre ces objectifs, la CAQ et Hydro-Québec s’engagent à soutenir les filières d’hydrogène vert, notamment en fournissant une partie de l’énergie renouvelable nécessaire à sa production. Pour être admissibles à la subvention énergétique, les demandeurs doivent prouver que leur projet vise à alimenter en hydrogène vert les secteurs prioritaires (transport lourd et industrie), en plus de démontrer que la majorité de l’hydrogène vert produit est consommé au Québec. 

À la suite du dévoilement de la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies, Hydro-Québec a reçu plusieurs propositions de projets en provenance de compagnies déjà existantes, qui souhaitaient accéder à des blocs énergétiques de cinq mégawatts et plus pour amorcer leur décarbonation. Le projet d’hydrogène vert de TES Canada, qui demande 150 mégawatts, est l’un des rares projets à avoir obtenu l’autorisation gouvernementale. Selon la chercheuse principale de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Johanne Whitmore, cette décision ne s’est pas prise en toute transparence. Elle affirme qu’il n’existe pas assez d’information publique clé pour garantir que le projet de TES Canada remplit les critères d’admissibilité et déplore que le gouvernement investisse dans une nouvelle compagnie plutôt que dans des industries déjà existantes. Selon Mme Whitmore, la décarbonation des industries existantes permet de développer une meilleure résilience face aux changements climatiques.  

Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal (photo : HEC Montréal).

Dans un rapport publié indépendamment de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, Mme Whitmore évalue l’efficacité et la rentabilité du projet de TES Canada. La conclusion de ses recherches démontre que l’efficacité globale du gaz naturel synthétique (e-gaz) est compromise par une perte énergétique importante au moment de la conversion de l’hydroélectricité en e-gaz. Ces pertes énergétiques augmentent considérablement le coût de production et de consommation de l’e-gaz, qui aura de la difficulté à être concurrentiel sur le marché.

La rentabilité du projet est également remise en question dans le rapport. D’ici 2028, TES Canada prévoit alimenter en e-gaz près de 2000 camions issus du secteur des transports. Or, la technologie des camions lourds à hydrogène vert n’est pas encore développée, au sens où il n’existe pas de commercialisation de camions alimentés à l’hydrogène vert en Amérique du Nord.

Pierre-Olivier Pineau, Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie
Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal (photo : HEC Montréal).

TES Canada n’est d’ailleurs pas la seule compagnie à rencontrer des difficultés lorsqu’il est question de percer le marché industriel avec l’hydrogène vert. La compagnie allemande Hy2gen, qui prévoit installer une usine d’ammoniac vert à Baie-Comeau, souhaite limiter l’émission de GES dans l’industrie minière à l’aide d’explosif carboneutre. Or, pour des raisons de perte énergétique lors de la conversion de l’hydroélectricité en hydrogène vert, le coût de production de l’ammoniac vert n’arrive pas à concurrencer ce qui se fait actuellement sur le marché.

Selon Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, bien que les modèles d’affaires des compagnies pionnières en matière d’hydrogène vert ne tiennent pas la route, leurs projets ont une certaine élégance en matière d’innovation. M. Pineau souligne que le problème n’est pas que des investisseurs comme TES Canada proposent une solution décarbonée, mais plutôt que l’industrie, et plus largement la société, ne soient pas prêtes à transiter vers l’énergie renouvelable. Selon lui, c’est en créant l’offre que la demande suivra et le Québec est très bien positionné pour développer l’offre en matière d’hydrogène vert. La province jouit en effet d’un vaste espace territorial exploitable et d’un tissu économique solide qui attirent les investisseurs privés: «Il n’y a pas beaucoup de monde qui croit en la transition énergétique, alors c’est rassurant que certaines industries privées soient intéressées», souligne-t-il.

Les discussions entre l’entreprise et les différents groupes d’intérêts se poursuivent. L’étude d’impact sur l’environnement sera déposée à la fin du mois de mars par TES Canada, qui n’a pas accepté notre demande d’entrevue pour réaliser ce dossier.