Depuis quelques mois, les groupes d’extrême-droite se font de plus en plus présents et visibles dans les médias de l’espace public. Comme plusieurs d’entre nous ont pu le voir avec les affiches d’Atalante à l’Université récemment, les campus n’échappent pas au phénomène. Techniques de séduction à destination des étudiants, utilisation des réseaux sociaux, banalisation du discours ; tout y passe. Pleins feux sur La Meute, Storm Alliance et ces autres groupes extrémistes.

 

 

Afin de mieux comprendre la place que prennent les jeunes dans ce nouveau phénomène qu’est le recrutement dans les écoles, l’Exemplaire a d’abord rencontré François (nom fictif) un membre actif de La Meute et étudiant au Baccalauréat en communication des affaires à l’Université Laval. Il explique avoir intégré le groupe en discutant avec son entourage.

« J’ai connu La Meute, il y a trois ans, par le biais d’un bon ami, qui lui n’était pas membre. Il m’avait montré un article de La Presse, qualifiant le groupe de très néfaste pour une société. Je voulais alors regarder directement et me faire ma propre opinion, et notamment comprendre pourquoi il y avait cette réputation. » – François

Selon l’étudiant, ses expériences l’ont toutefois rapidement amené à comprendre que La Meute demeure d’abord et avant tout une association, un groupe de personne s’unissant autour d’une idée commune qu’est celle de la défense des droits nationaux des Québécois.

Le groupe ne ressemble ainsi en rien à un parti, et n’aurait aucune prétention à le devenir, explique-t-il, soulignant que, comme ses orientations ne seront jamais imposées de force, sa présence n’est pas dangereuse actuellement.

L’immigration illégale comme moteur d’adhésion

L’opinion publique cherche de plus en plus à savoir quelles idées de l’extrémisme peuvent séduire les étudiants, et surtout comment. « Ce sont surtout celles de l’explosion de l’immigration illégale et de  l’expansion de l’islam radical, répond François. Il y a également tout ce qui est sharia, l’islam qui est extrêmement proche du terrorisme, ou l’islam sectaire avec un effet de ghetto et le recrutement djihadiste. » Des phénomènes qui l’inquiètent au quotidien.

Pour lui, l’impopularité de ce genre de groupes aux des médias vouent ses membres à constamment être mis de côté par le grand public.

Il y aurait toutefois effectivement une croissance des membres à prévoir, mais surtout une présence médiatique en explosion, à ses dires. « Croyez-moi, la croissance de ces groupes continuera, si la source de leur peur ne se résout pas », tranche-t-il.

Fait intéressant : lorsqu’on lui parle des autres groupes d’extrême-droite, l’étudiant est sans appel et se dit très fermé à collaborer avec eux.

« Ces personnes vont vraiment trop loin, et ils ne sont pas la bienvenue dans La Meute. De ce fait, ils vont se regrouper ailleurs, dans un autre groupe, qui, à mes yeux, sont bien trop extrêmes, et surtout sans intérêt. » – François

L’exemple de Storm Alliance

L’un des fondateurs du troisième groupe d’extrême-droite en importance au Québec, Storm Alliance, revendique près de 2000 membres à l’échelle de la province. Dave Tregget a lancé ce mouvement vers la fin du mois de décembre 2016 dans le but de «  protéger et préserver les valeurs canadiennes », explique le fondateur de Storm Alliance, en entrevue avec l’Exemplaire à Québec.

Selon lui, les groupes comme le sien, qu’il peine à qualifier d’extrémistes, se veulent d’abord « contre la tyrannie », opposés aux pleins pouvoirs du gouvernement et pour la liberté. Ils ont pour ambition de représenter la totalité du peuple québécois et « surtout de laisser une place toute particulière aux jeunes ».

Chez Storm Alliance, aucune campagne n’est pourtant directement destinée aux jeunes ou aux étudiants. Il ne s’agit pas là d’un choix, mais bien d’un contexte socio-politique obligeant les associations idéologiques à se taire, selon lui. C’est davantage vers les 40-50 ans que le groupe se tourne, s’adressant aux adultes déjà établis et moins susceptibles de changer d’opinion politique.

« On ne le fait pas que par peur d’être taxé de propagandistes dans les médias et la sphère publique. Ça ne fait rien, car le mouvement ne va pas vers les gens, c’est eux qui viennent à lui, et c’est principalement par le biais de Facebook. On va y arriver seuls. » – Dave Tregget

« Leur place est là, c’est à eux de la prendre », ajoute-t-il à propos des étudiants. C’est précisément grâce à une forte présence dans les groupes d’intérêts sur les médias sociaux qu’il cherche à retenir l’attention des jeunes. Selon Dave Tregget, depuis le 20 août, jour de la manifestation conjointe avec La Meute, les jeunes seraient venus en bien plus grand nombre jusqu’à la Storm Alliance. Aucune statistique ne confirme toutefois ses propos.


L’autre point de vue : la critique des groupes extrémistes

S’influencer entre étudiants, c’est possible ?

Entrevue audio sur le sujet avec Maxime Fiset, chercheur au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Autres propos rapportés plus bas. 

Au-delà du fait de condamner l’extrémisme à l’Université Laval, des experts se mobilisent actuellement sur les campus québécois pour inciter les étudiants à sensibiliser leurs pairs aux dangers de l’extrémisme, par des actions quotidiennes et toutes simples. Cela peut passer par l’invitation à la prévention du radicalisme dans les cercles d’associations comme La Meute.

Un exercice nécessaire, mais tout de même très délicat, selon Maxime Fiset. « C’est difficile d’agir sur ce phénomène-là, parce qu’en réalité, un étudiant moyen n’est pas équipé pour reconnaître un groupe extrémiste quand il en voit un, explique-t-il. Il ignore quoi faire pour empêcher son ami de le rejoindre, surtout. »

Dans des milieux jeunesse ou moins scolarisés, en venir à aborder ce genre de discussions peut même faire peur aux gens, tellement les répercussions peuvent être lourdes de conséquences. Le même principe se produit d’ailleurs avec la politique en général et les enjeux sociologiques tels l’immigration, particulièrement controversée au Québec.

« La plupart du temps, on constate au Centre que les gens croient qu’éventuellement, ça va mener à une confrontation idéologique et menacer la relation avec l’autre, qui peut se briser ou se détériorer tellement les sujets sont sensibles. Les gens évitent donc la question à tout prix, et il faut agir là-dessus. » – Maxime Fiset

La solution, selon lui : se doter de mécanismes et d’informations pertinentes afin de prévoir les débordements et demeurer prêts à un débat respectueux. On peut ainsi, en tant qu’intervenant, contredire les sophismes et les recours à la peur, indique-t-il.

« Je ne dis pas que je suis pour une professionnalisation de la lutte contre l’extrême-droite, car c’est important le communautaire et le social, mais sur une base individuelle, on doit s’informer, choisir les bonnes notions, les bons outils, lance Maxime Fiset. À moins d’aller chercher tout ça, on est généralement les moins bons pour intervenir auprès de nos pairs. »

La limite à cette pratique de sensibilisation locale : le militantisme, prévient-il. « Ça n’aidera pas nécessairement si les étudiants commencent à prendre ça sur eux, à militer avec leurs moyens et leurs perceptions limitées de la chose. Il y a un seuil à ne pas dépasser. »

Des stratégies mensongères

On peut constater, en analysant l’évolution du discours de joueurs importants dans le milieu de la droite, que les discours des groupes extrémistes changent énormément dans le temps. C’est du moins ce qu’estime David Morin, qui est professeur à l’Université de Sherbrooke et codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent, en entrevue avec La Presse canadienne.

À l’origine, La Meute se disait « ouvertement contre l’islam ». Or, une forte résistance publique et médiatique à ces paroles a conduit le groupe à changer son image, selon le chercheur du CPRMV.

« Ils ont le loisir d’être un noyau sans plateformes publiques, sans fil conducteur autrement dit. Ça leur permet de modifier le discours officiel sans pour autant changer d’idéologies profondes. Ça reste la même gang et les mêmes idées derrière, et ça c’est dangereux. » -Maxime Fiset

Évolution de l’intérêt pour « La Meute » (mot-clic) sur les moteurs de recherche, en % 

Le pic de la courbe illustre à quel point l’agenda médiatique a été contrôlé par le grand joueur de l’extrême-droite, La Meute, à la fin août, après les manifestations. (Créé avec Google Trends)

« Tout est calculé, affirme-t-il. Pour rendre le discours plus pénétrant, ils l’ont adapté. Ils se sont mis progressivement à parler d’islam radical par exemple, pour ne pas mettre la faute sur le musulman moyen. Ensuite, on a parlé d’immigration illégale. Rapidement, on a vu que ça ne fonctionnait pas, puisque ça donne des allures racistes. Et là, maintenant, ils parlent de liberté d’expression, de démocratie. »

Là réside donc la « beauté » de ces groupes, dit ironiquement Maxime Fiset : la souplesse qu’ils ont pour changer, « du jour au lendemain », les mentalités sociales de tous les membres du groupe, via une simple publication relayée dans les groupes secrets de Facebook, principalement. D’un point de vue communicationnel toutefois, certaines nuances doivent être apportées, selon lui, car l’opinion est un élément difficile à changer de manière permanente.

« C’est de l’opportunisme en fait, conclut-il. On peut dire ce qui passe quand ça arrange, ce qui n’est vraiment pas le cas d’un parti politique, où on a une charte, un programme, un mandat. Non, ici, les chefs peuvent orienter la direction du groupe comme bon leur semble. »