Encore une fois cette année, la population est invitée du 3 au 13 juillet 2025 à assister à des spectacles notamment gratuits dans le cadre du FEQ. Sur la scène Hydro-Québec à la Place de l’Assemblée-Nationale et sur la scène Crave à Place D’Youville, des artistes émergents ou connus, locaux ou internationaux de tous les genres se produiront. Aucune passe n’est requise pour assister à ces spectacles.

Cela dit, certains artistes locaux en quête de la même reconnaissance ont été programmés sur la scène Bell des Plaines d’Abraham et sur le plateau double des scènes Loto-Québec et SiriusXM sur la Place Georges-V. Des scènes exclusivement accessibles avec une passe ou un billet acheté au préalable. Y a-t-il une logique à cela? Est-ce qu’un spectacle gratuit donne plus de visibilité à un artiste émergent qu’un spectacle payant? Est-il vraiment essentiel pour un jeune artiste de passer notamment par le FEQ pour se faire connaître du public québécois? Le public s’intéresse-t-il aux petites scènes pour faire des découvertes? L’Exemplaire s’est promené sur le campus de l’Université Laval pour répondre à cette question.

Expériences

Pour Fred Dionne, programmé cet été au FEQ, c’est une première, alors que Thaïs a déjà connu un premier passage en 2022. Expérience qu’elle a d’ailleurs adorée : « Il y a quelque chose de grandiose à l’événement, explique-t-elle. C’est probablement le gros festival pour la musique francophone ». 

Fred Dionne se produira sur la scène Loto-Québec le 8 juillet prochain (photo: Sunnie Heers).

Pour Fred Dionne, c’est son baptême du feu au FEQ. Il aura l’honneur d’ouvrir la Place Georges-V lors de la soirée du concert de Nate Smith, l’un des chanteurs country américains les plus en vue du moment. « J’ai hâte de voir l’accueil des gens. Ça va être la plus grosse scène que j’aurai fait en festival jusqu’à maintenant ». 

Thaïs, quant à elle, se produira dans un contexte assez différent. Elle sera en prestation sur la scène Crave le 11 juillet, une scène gratuite qui la rend optimiste par le fait que « tout le monde peut être là ». 

Thaïs se produira le 11 juillet sur la scène Crave (photo : Alexis Boudrias).

De nos jours, il est certain que les réseaux sociaux sont une bonne stratégie à utiliser pour se faire connaître si on souhaite percer dans le monde de la musique. « Souvent, quand tu es jeune artiste, la première façon de fonctionner, c’est de mettre de la musique sur Internet », remarque Thaïs. Les exemples d’artistes émergents qui réussissent à atteindre un plus large public grâce à des extraits courts sur TikTok ou Instagram sont nombreux. 

C’est le cas pour cette Parisienne qui a grandi au Québec. Sa chanson La nuit te ressemble est devenue virale à travers le monde en 2022, parce qu’elle a été utilisée dans la populaire série Netflix Emily in Paris. De nombreux spectateurs de la série et internautes sont tombés sous le charme du titre.

Toutefois, il y a d’autres manières de faire. Fred Dionne est devenu populaire grâce à la radio et aux spectacles. Le deuxième extrait de son premier album, Hangover, est devenu un grand succès sur les radios commerciales atteignant le top 10 du palmarès de l’ADISQ : « ça m’a permis de faire des rencontres et des spectacles au départ ». 

Celui dont le deuxième opus, Eldorado, est paru en janvier dernier est allé chercher plusieurs nouveaux fidèles en se produisant lors des premières parties d’artistes plus connus. Il a eu la chance de suivre Matt Lang et 2Frères à travers le Québec : « [Les effets] sont vraiment tangibles. Il y a des gens qui achètent leurs billets pour mon show à moi après ». Pareil pour Thaïs qui a pu chauffer la scène de Cœur de pirate ou d’Ariane Moffatt. Malgré cette similitude, les parcours des artistes avant d’en arriver là restent assez différents.

À ce titre, les concours peuvent aussi jouer un rôle très important pour la carrière de jeunes artistes. Thaïs a participé aux Francouvertes en 2020, qu’elle qualifie de « meilleure plateforme qu’on peut avoir en tant qu’artiste indépendante ». Le projet artistique de la chanteuse a été dévoilé à plein de programmateurs et professionnels du monde de la musique, ainsi qu’à un large public. 

Cependant, Fred Dionne et Thaïs s’entendent pour dire que le FEQ reste un festival qui peut largement augmenter la notoriété d’un artiste, et ce, peu importe la scène sur laquelle il se produit. Toutefois, y accéder n’est pas nécessairement une chose facile. 

Solliciter les programmateurs

Marianne Blouin, gérante d’artistes chez Coyote Records, pense que la meilleure stratégie est de viser les petites scènes. (photo : courtoisie)

Selon Marianne Blouin, gérante d’artistes chez Coyote Records, intégrer la programmation du FEQ demande plus que du talent : c’est un jeu de stratégie, de patience et surtout de contacts. Afin d’avoir la chance de percer la programmation du Festival d’été de Québec, il faut continuellement solliciter les programmateurs : « C’est un jeu de contact, d’insistance, et même parfois de harcèlement jusqu’à ce qu’on obtienne un non clair, » lance-t-elle en riant. Une difficulté à laquelle font face de nombreux gérants d’artistes.  

Une autre difficulté à laquelle font face les gérants d’artistes émergents, c’est d’avoir des attentes réalistes selon la notoriété de l’artiste représenté. « Tu ne peux pas viser la scène Bell quand ton artiste commence à peine », explique Marianne Blouin. 

Selon elle, la meilleure stratégie pour pouvoir attirer l’attention des programmateurs est de créer un effet crescendo : viser de petites scènes d’abord, participer à des concours, obtenir de petites victoires, bâtir lentement une crédibilité… Tout ça fait partie du processus. « Le but, c’est de faire connaître ta face et ton nom. Crée-toi une liste de contacts, fais du bruit autour de ton projet. Chaque interaction peut t’amener plus loin. », explique-t-elle.  

« Le but, c’est de faire connaître ta face et ton nom »

— Marianne Blouin

Et si un programmateur se pointe à ton spectacle? « C’est une chance. Une grosse. Mais tu ne peux pas compter que là-dessus. Tu dois te démarquer autrement : sortir, te montrer, créer des contacts », explique-t-elle. L’objectif d’un artiste émergent est de filmer et de publier ses performances en direct afin d’attirer le regard des programmateurs. Chaque performance compte. 

C’est pourquoi des vitrines comme Le Rideau et le Phoque Off sont des incontournables dans le développement de carrière. Ces espaces sont pensés pour attirer les diffuseurs et les programmateurs qui sont à la recherche de la prochaine révélation. Mais même là, il faut savoir jouer ses cartes.

Un festival comme le Phoque Off permet à plusieurs artistes émergents de se faire un nom dans le domaine (photo : Léo Moffet).

Et les médias sociaux dans tout ça? Bien qu’on leur attribue un pouvoir souvent démesuré, « c’est bien, mais ce n’est pas tout, si tu n’es pas Jay Scott ou Roxane Bruneau qui sont les kings des réseaux sociaux, ça n’aura pas beaucoup d’impact », souligne Marianne Blouin, « oui, ça peut créer un coup de cœur chez un programmateur, mais il faut que tu sois à la bonne place, au bon moment. Rien ne remplace la présence physique dans [les concerts] », clarifie-t-elle. 

Pour les artistes émergents, l’ascension vers les grandes scènes comme celles du FEQ passe donc par un savant mélange de présence sur le terrain, de persévérance, de stratégie… et d’un brin de chance. 

Un tremplin pour les jeunes talents

Mathieu Aubre, ex-programmateur au festival M pour Montréal, pense que les jeunes artistes peuvent passer pour une panoplie de festivals pour se faire connaître (photo de courtoisie).

Le Festival d’été de Québec est une véritable vitrine pour les artistes émergents. En tant qu’ancien programmateur à M pour Montréal, Mathieu Aubre voit ce festival comme un tremplin pour les jeunes talents, leur offrant une opportunité rare d’accéder à une visibilité qui peut transformer leur carrière. 

L’un des plus grands défis pour un artiste émergent est d’atteindre un large public et de capter l’attention des professionnels de l’industrie. Par exemple, le FEQ, par ses nombreuses scènes et son public passionné, constitue un environnement idéal pour les nouvelles voix de la musique. Le festival donne la chance à des jeunes artistes de jouer en première partie d’un artiste de renommée mondiale. Ça permet ainsi à ces musiciens d’être exposés à des milliers de spectateurs, parfois même à des agents ou des producteurs qui pourraient jouer un rôle clé dans leur développement. « C’est clair que lorsque tu joues avant Pitbull, c’est positif pour ta carrière ». 

En effet, l’événement principal débute vers 21h30, mais dès l’ouverture des portes aux alentours de 17h, les gens envahissent le site. Les artistes responsables d’effectuer la première partie performent donc devant une marée de gens. « Pour la majorité d’entre eux, ce sera la plus grosse foule qu’ils verront de leur vie ». 

En revanche ce n’est pas la seule manière de se faire remarquer. D’autres festivals, spectacles en salles ainsi que des événements indépendants offrent également des opportunités importantes. Aujourd’hui, avec l’essor de la diffusion en continu et des réseaux sociaux, un artiste peut bâtir sa carrière en dehors des grands festivals s’il sait comment capter l’attention d’une manière différente. Une carrière peut décoller sur TikTok, YouTube ou Spotify. Un artiste qui mise sur des vidéos créatives et une communauté engagée peut très bien atteindre un public international sans nécessairement performer au FEQ.  

Il existe également plusieurs autres festivals de plus petite envergure à travers le Québec où un artiste peut se faire remarquer. « On voit souvent que les artistes qui se sont produits au FEQ, se sont aussi produits à d’autres festivals québécois comme le FestiVoix de Trois-Rivières ou le Festif! de Baie-Saint-Paul par exemple. Éventuellement, tu peux te faire inviter si tu enchaînes les petits festivals. » 

Le FestiVoix de Trois-Rivières se déroule chaque année à peu près en même temps que le FEQ. Il permet à plusieurs jeunes artistes de performer devant un public important en Mauricie. (photo : Cyrille Farré)

Mathieu Aubre affirme également que le FEQ n’est pas le seul festival qui permet de propulser de jeunes artistes. « Que ça soit les Francos de Montréal, Osheaga ou le FEQ, ce sont toutes de très bonnes opportunités. D’autres festivals québécois, un peu moins connus, peuvent faire démarrer une carrière. Dans ce milieu, il suffit parfois de rencontrer la bonne personne au bon moment. » 

C’est avec cette philosophie que des artistes comme Fred Dionne et Thaïs visualisent leur avenir. Si Marianne Blouin a peut-être les contacts pour permettre à un artiste de performer au FEQ, reste que Mathieu Aubre nous rappelle que pour atteindre la gloire et la notoriété, tous les chemins sont bons.