Pour la sortie du documentaire Alphas, le réalisateur Simon Coutu et des influenceurs masculinistes avaient été invités à l’émission Tout le monde en parle en novembre dernier. Certains spectateurs et des personnalités québécoises avaient milité contre la présence de ces individus dans les médias, notamment par le biais d’une pétition.

Bien que les dérives extrêmes du masculinisme restent rares au Québec, ses discours populaires chez les jeunes contribuent à polariser le débat public et à renforcer des stéréotypes dangereux. L’expression « il n’y a pas de mauvaise publicité » trouve ici ses limites : la visibilité offerte à ce mouvement peut engendrer des conséquences dangereuses et bien réelles. Ainsi, comment doit-on aborder le sujet pour éviter qu’il gagne du terrain ?

Privilèges et violence

Depuis les années 1980, le terme « masculinisme » est associé à la fois à l’idéologie de l’homme dominant et à l’antiféminisme. Le chercheur et professeur en science politique Francis Dupuis-Déry a proposé, en 2009, une définition historique de l’expression selon une analyse des études de genre. Le masculinisme n’est pas un phénomène nouveau.

Dès que le mouvement féministe a connu des avancées plus significatives dans les années 1970, des hommes ont eu de la difficulté à l’accepter. Cette réticence, cette intolérance et cette haine tirent souvent leur origine de la religion et de l’éloge d’un présumé ordre naturel des choses. L’antiféminisme vient surtout de la volonté de conserver des privilèges historiques, en se basant sur une interprétation machiste des textes anciens.

Autrefois restreinte, la portée du masculinisme n’est aujourd’hui plus limitée à des groupes fermés ou à des forums difficiles d’accès. Malheureusement, le phénomène est désormais présent sur les réseaux sociaux et amplifié par son caractère controversé.

Les travaux de Gilles Tremblay ont largement inspiré le Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes de 2017, qui ne sera pas reconduit cette année (photo : Gilles Tremblay).

Le chercheur en travail social Gilles Tremblay s’intéresse aux réalités masculines depuis une quarantaine d’années, notamment à l’adaptation des ressources en santé mentale pour les hommes. Selon lui, les jeunes hommes en situation d’exclusion sont plus à risque d’adopter l’idéologie masculiniste. Se sentant incompris ou incompatibles, ils peuvent la percevoir comme un moyen de retrouver une forme de pouvoir. La violence ou la radicalisation seraient ainsi vues comme des façons d’exprimer son identité, notamment dans un contexte où ces jeunes sont en quête de reconnaissance ou d’appartenance. Malheureusement, cette recherche de sens peut parfois prendre des proportions démesurées, la violence étant dans certains cas la seule façon de se sentir valorisé.

Gilles Tremblay n’est pas le seul à faire le constat de la violence. Des intervenant.es en maison des jeunes et des élèves du secondaire ont remarqué une hausse de l’intolérance chez certains jeunes hommes.

Ce sont des jeunes qui veulent donner du sens à leur vie, et ils deviennent quelqu’un parce qu’ils ont fait la une.

— Gilles Tremblay

Ce besoin de valorisation, plusieurs influenceurs masculinistes l’ont compris et en tirent avantage. Ils présentent l’idéologie machiste comme l’une des clés du succès d’un entrepreneur. Des figures influentes du mouvement, comme Andrew Tate, Jordan Peterson ou Myron Gaines et Walter Weekes du Fresh and Fit Podcast, touchent de généreux salaires selon leurs dires. Toutefois, certains d’entre eux apparaissent riches et en situation de puissance alors qu’ils cumulent des dettes personnelles importantes, une contradiction qui nuit certainement à leur image de mâles alphas. Au Québec, c’est le cas de Julien Bournival.

De passage à Tout le monde en parle en novembre 2024, cet entrepreneur en optimisation énergétique résidentielle a affirmé que sa présence dans le documentaire Alphas relevait d’un malentendu. Selon lui, c’est sa participation au balado masculiniste Le Lucide Podcast qui expliquerait sa sélection au sein du documentaire, bien qu’il ne soit pas directement identifié comme influenceur masculiniste.

Sur le plateau de Guy A. Lepage, il a rappelé que ses convictions conservatrices n’engagent que lui. Sa décision de venir en discuter publiquement soulève néanmoins une question : cherche-t-il à clarifier sa position ou à mettre en place une stratégie pour obtenir plus de visibilité ?

La série Adolescence sur Netflix montre que la combinaison entre isolement social et idéologie masculiniste se solde souvent par des actes violents. Il y a dix ans, un évènement bien réel avait lieu : Elliot Rodger, influencé par la haine en ligne, a tué six personnes en Californie avant de retourner son arme contre lui. Il voulait « punir » les femmes qui l’avaient rejeté. Son geste, un symbole de la radicalisation masculiniste, est devenu héroïque pour certains antiféministes extrêmes.

Faut-il combattre le feu par le feu ? La réponse à la violence ne peut pas être la violence. Face à la fermeture d’esprit, Gilles Tremblay propose l’ouverture, à soi-même et aux autres.

Un idéal inaccessible ?

Être perçu comme un modèle est un rôle que beaucoup d’hommes endossent, parfois malgré eux. L’archétype masculin véhiculé par les médias demeure, bien souvent, un idéal inaccessible pour de nombreux jeunes. Les standards de beauté et de réussite associés à cette image contribuent alors à nourrir un sentiment de frustration et d’insécurité.

Dans son plus récent spectacle Ocytocine, Colin Boudrias aborde notamment des sujets qui sortent de la norme masculine traditionnelle (photo : Émilie Lapointe).

Il existe toutefois des personnalités publiques qui incarnent une masculinité différente, plus ouverte. C’est le cas de l’humoriste Colin Boudrias, qui l’assume même si elle ne correspond pas à l’image traditionnelle. Pour lui, présenter un modèle différent est une façon d’être original et créatif. Prendre soin activement des enfants et être en contact avec ses émotions sont des sujets que Colin Boudrias aborde régulièrement sur scène, contribuant ainsi à défaire les stéréotypes traditionnels. Promouvoir un modèle de masculinité rigide contribue, selon lui, à perpétuer l’exclusion chez les jeunes hommes.

Je pense que l’humour peut normaliser de nouvelles directions pour la masculinité.

— Colin Boudrias

Aujourd’hui retraité après quarante ans de carrière, Gilles Tremblay remarque que de plus en plus d’hommes s’intéressent à des rôles typiquement moins masculins. Il s’agit selon lui d’une « vague de fond », avec « des pères impliqués comme on n’en a jamais eu dans le passé ». Il faisait part de ce constat en 2014 dans une étude sur l’évolution des représentations de la masculinité depuis les années 1960 à laquelle il a participé.

Gilles Tremblay rappelle toutefois l’enjeu éthique majeur à propos de l’élection de Donald Trump. Un homme reconnu coupable de multiples délits misogynes occupe la présidence du pays le plus puissant du monde. Normaliser des comportements haineux envers les femmes est un signal plus que troublant pour la société. Les politiques anti-diversité du président américain, marquées par des reculs en éducation et en santé publique, causent des torts de plus en plus visibles et divisent profondément la population, souligne-t-il.

Cette montée de la droite alternative, soutenue par la popularité croissante du mouvement masculiniste, représente un danger concret pour l’égalité et la cohésion sociale, comme le rappelle Gilles Tremblay. Si c’est dans la nature des hommes d’être forts et protecteurs, comme le défendent les masculinistes, alors que cette force serve à bâtir une société plus juste et ouverte.