Les humoristes viennent faire rire la salle en racontant des anecdotes mais aussi en les jouant. Dans le spectacle vivant, le jeu physique et l’apparence physique font intégralement partie de la performance. Qu’en est-il de l’humour? Cette question a été posée à quelques comiques québécois.

Les lundis 11 et 18 mars, l’Association des étudiants en sciences de l’administration de l’Université Laval organisait deux soirées particulières : des spectacles d’humour avec pour têtes d’affiches Alexandre Forest et Pierre-Bruno Rivard, ainsi que des humoristes de la relève. Ces soirs-là au Prolo Bar, à l’Université Laval, l’ambiance était plutôt détendue. La cinquantaine de spectateurs était habillée de manière décontractée, tout comme les vedettes de la soirée.

L’Exemplaire a eu l’occasion de filmer en 360° quelques spectacles et vous propose un petit jeu : tentez de deviner les sujets de prédilection des humoristes en vous basant sur leurs apparences physiques. Pour cela, découvrez les textes dans la salle en tournant l’écran de votre smartphone ou en naviguant avec votre souris sur l’écran si vous consultez l’article sur ordinateur. Bon jeu !

En sortant du spectacle, trois étudiants en administration avouent avoir oublié tous les détails vestimentaires de ceux qu’ils ont pourtant écoutés pendant deux heures : « Je n’ai rien remarqué de spécial, s’ils étaient montés sur la scène en complet, j’aurais sûrement fait attention. Mais pour moi, les humoristes sont toujours habillés pareil », juge Gabriel Parent, un des étudiants présents dans le bar.

T-shirt, jean, espadrilles : en apparence rien de bien spécial. Mais en s’aventurant dans la garde-robe des humoristes, il semblerait que leurs vêtements révèlent plus que ce que l’on pense.

Selon Pierre-Bruno Rivard, humoriste passé par l’École nationale de l’humour, l’habillement change la perception du message comique : « Rien qu’avec une veste en cuir, ce n’est plus le même ton, plus la même personne, tout ton show vient de changer d’énergie et le public le perçoit différemment. »

 

« Sur scène, il n’y a pas juste tes blagues, il y a l’énergie, la manière de parler, ce que tu projettes, il y a ta voix, tes doigts pour écrire et ton corps pour imager. C’est un tout », souligne Pierre-Bruno Rivard. Crédit photo : Lucie Bédet

 

Jean-Félix Martel l’a vécu. Il est grand, barbu et costaud. Il fait de l’humour depuis maintenant deux ans et a fait évoluer son style vestimentaire au fil du temps : « Au début, j’avais souvent des gilets de bands ou des gilets comiques, j’avais vraiment une image du gars dur. Maintenant, mon style est plus chic et relax. Ma chemise avec des petits lièvres me permet d’adoucir mon apparence et de pouvoir faire passer des blagues justement plus rough ».

 

 

« Si tu veux être baveux, il faut te victimiser d’abord, parfois à travers le look, à travers l’attitude.» – Pierre-Bruno Rivard

 

 

Pierre-Bruno Rivard souligne que certains humoristes doivent faire des ajustements vestimentaires : « Souvent, les gars musclés peuvent moins se permettre d’être arrogants et méchants. Socialement, hiérarchiquement, dans les rapports de force, les a priori font qu’ils sont déjà au top. Alors, ils ne peuvent pas se permettre d’agir trop en dominant. Une victime, elle, peut envoyer chier tout le monde ! », dit-il en s’empressant de chambrer son collègue qui participait à l’entrevue en ajoutant « n’est-ce pas Jérôme ? ».

 

« Une partie importante de l’humour, c’est de savoir qui tu es et ce que tu dégages, mais c’est aussi comment tu agis et de quoi tu as l’air », explique Jérôme Morissette. Crédit photo : Lucie Bédet

 

Jérôme Morissette est l’humoriste le plus discret de la soirée. Programmeur et humoriste, son style vestimentaire s’agence avec ses blagues parfois plus sombres : « Mon habillement est le plus sobre que je peux avoir. J’ai un humour terre à terre donc je porte du foncé et c’est tout. » Pour lui, il est inenvisageable de se présenter sur scène avec une chemise hawaïenne : « Le numéro fonctionnerait beaucoup moins bien, ça serait trop distrayant pour l’auditoire ».

 

Le style vestimentaire pour appuyer son message

Ainsi, comme le confirme Nicolas Boucher, script-éditeur et metteur en scène québécois, le style vestimentaire sur scène a un impact implicite sur le niveau de drôlerie. « Personne ne va sortir d’un spectacle d’humour et se dire « oh, il était vraiment mal habillé». Mais même si ça ne se voit pas, tout le physique, toute la gestuelle, tout l’habillement est au service du texte pour le rendre encore plus drôle.»

 

 

« Avec le temps, je me suis compris, j’ai compris que ce que je représentais sur scène. Donc, j’ai plus facilement trouvé les vêtements qui allaient avec ma personnalité. » – Alexandre Forest, humoriste passé par l’École nationale de l’humour

 

 

Certains préfèrent être habillés simplement dans des vêtements confortables qui n’attirent pas trop l’attention. Dans cet esprit, Andai Mcfly, alias Andai Mcfly, et Pierre-Bruno Rivard s’accordent sur un point : des habits simples agencés avec un veston élégant leur permettent d’avoir une prestance différente, d’être écoutés plus attentivement.  

 

« Mon style propre mais éclaté est un mélange car je veux que ce soit ce que je dis qui définisse ce que je suis », confie Andai Mcfly. Crédit photo : Lucie Bédet

 

Andy Cerqueira, économiste le jour et humoriste la nuit, ne quitte jamais son veston gris : « J’essaie de traiter des sujets plus sociaux et j’ai l’impression qu’avec le veston, ça donne l’atteinte que je n’ai pas spécialement avec mon personnage ».

Avec une allure totalement différente de ses collègues cités précédemment, Alexandre Forest le suit sur ce point. Pantalons fleuris, chemises, colliers, souliers et parfois maquillage, le style d’Alexandre est très marqué. Dans les articles de journaux, dans les critiques de spectacles, tous font mention des tenues travaillées de l’humoriste.

 

« Je décrirais mon style comme élégant, un peu pop, parfois coloré et féminin », évoque Alexandre Forest. Crédit photo : Lucie Bédet

 

« Mes vêtements donnent une information sur qui je suis, sur ce que je vais dire », amorce-t-il. Un style qui permet d’appuyer ses propos sur la transidentité, les maladies mentales ou le genre, mais aussi de se distinguer : « En général, le style qui est prisé c’est t-shirt noir, pantalon noir. Au moins, pour moi, les gens retiendront que je suis l’homme qui avait une chemise fleurie ».

 

Dans la peau du personnage

 

À la fin de la soirée, seul Julien Durden s’est changé dans une tenue de ville. Sur scène, il incarne un personnage, qui est selon ses mots un « gros nerd » qui inspire l’antipathie. Ainsi, il se réserve « une chemise un peu laide » et bien trop grande, un pantalon en velours qui servent à amplifier l’aspect pathétique des situations. « Mon personnage est censé faire tout l’inverse de ce qu’un humoriste fait : il ne bouge pas, parle lentement, est tranquille. C’est de l’anti-humour… ».

 

« Mon personnage est tellement cérébral, c’est sûr que le linge que je porte, ça donne une indication de ce que je vais faire sur scène », affirme Julien Durden. Crédit photo : Lucie Bédet

 

Nicolas Boucher est metteur en scène et script-éditeur au Québec. Il a notamment travaillé pour Juste pour rire mais aussi sur l’écriture de l’émission « Le Nouveau Show » à Radio-Canada et « Meilleur avant le 31, bon pareil le 1er » à Vrak. Il explique que le personnage incarné par Durden est une exception, car beaucoup d’humoristes souhaitent rester eux-mêmes dans leurs propos et dans leurs manières d’être sur scène. « Ils ne vous diront pas ça mais tous ont un personnage, souvent c’est une version exagérée d’eux-mêmes. On exagère les traits pour aller chercher l’humour. Père de famille qui se met dans la merde pour Philippe Laprise, jeune femme impatiente et intense pour Mélanie Ghanimé, ce sont des caractéristiques qu’ils ont déjà mais elles ne sont aussi marquées hors de la scène. »

 

Adopter la bonne attitude physique

 

En plus du style qui va bien, l’attitude et les mimiques physiques occupent donc une grosse part dans le jeu sur scène.   

Nicolas Boucher affirme même que le jeu physique est plus important que le style vestimentaire. « Des humoristes qui décrivent beaucoup, qui racontent des anecdotes doivent montrer ce que le spectateur a besoin de voir. » Pour lui, la devise est simple : si les mouvements physiques ne rendent pas le texte plus drôle, ils ne sont pas nécessaires.

L’attitude en dit long également. Pascal Lacroix, sur scène lors de la soirée d’humour pour les étudiants, entre plutôt sûr de lui mais fait d’emblée une remarque sur son physique : « Je sais que je suis laid »,  lance-t-il au public avant d’évoquer presque instinctivement sa calvitie. Selon Nicolas Boucher, cela peut être d’une manière de montrer qu’il fait preuve d’autodérision avant de faire des blagues plus crues.

 

« N’importe quoi peut être drôle si tu dégages de l’assurance et de la confiance sur scène », dit Pascal Lacroix. Crédit photo : Lucie Bédet

 

Nicolas Boucher considère cela comme un pacte de gentille moquerie entre l’humoriste et les spectateurs : « Une personne enrobée qui fait un gag là-dessus dès le départ, ça rassure : en parlant lui-même de son physique, il donne au public le droit d’en rire. »

 

 

« Des mauvaises blagues dites par un gars qui a la bonne attitude, ça passe mieux que des bonnes blagues dites par un gars qui a la mauvaise attitude. » – Pascal Lacroix

 

 

Pierre-Bruno Rivard et Alexandre Forest ont suivi des cours de jeu physique lors de leur formation à l’École nationale de l’humour. Pour le premier, ceci se résumait à des cours de mouvement : « C’était une introduction seulement, mais ça reste toujours bon à travailler. J’étais complexé, pas bien dans mon corps donc ça me sortait de ma zone de confort. » Pour le second, cela lui a beaucoup servi. Il est d’ailleurs intimement convaincu que le style et le jeu physique servent aussi à se différencier des autres humoristes : « En ce moment, ça pullule de nouveaux humoristes, la relève est énorme, il faut alors trouver des éléments comme le style ou le jeu de scène qui feront la différence, sans pour autant la forcer ».