Pas commun pour une messe catholique d’avoir une moyenne d’âge inférieure à 35 ans. C’est pourtant le cas dans certaines églises québécoises, où certains jeunes continuent de s’engager dans la vie spirituelle. Ils racontent ouvertement leur intégration sociale et la perception qu’a leur entourage de leur pratique religieuse.
Dimanche matin, c’est salle comble pour le prêtre Jean Abud. Dans la chapelle Marie-Guyart de l’Université Laval, cent vingt personnes sont venues l’écouter, prier et chanter. Parmi eux se trouve une écrasante majorité d’étudiants. « La majorité des gens qui fréquentent la chapelle sont des étudiants de tous les domaines », décrit Jean-Bernard Rousseau, agent de pastorale à l’association étudiante catholique de l’Université Laval. « Certains étudiants étrangers venant de pays très religieux viennent me voir et me demandent « mais où sont les jeunes dans les églises ? »».
À Québec malgré le taux très faible de croyants, 31 associations religieuses sont recensées. Et pour répondre à la question “où sont les jeunes?”, ils semblent se regrouper aux messes jeunesse de la paroisse Saint‑Thomas‑d’Aquin ou au pavillon Ernest-Lemieux. En effet, ce jour-là, le prêtre Jean Abud s’adapte à son auditoire : « depuis deux jours, la neige ne cesse de tomber, nous allons donc prier Dieu, mais ne pensez quand même pas que l’Université va être fermée demain ».
Jean-Philippe Perreault, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, écrit dans un article que de nos jours, « les jeunes pratiquent peu » et qu’ils s’éloignent des traditions religieuses (mariage à l’église ou connaissance parfaite de la Bible). Il souligne dans son travail qu’un quart des jeunes catholiques affirment n’avoir « jamais feuilleté la Bible » et que 81 % d’entre eux ne connaissent pas le nom de leur évêque. En 2011, ces chiffres laissaient déjà apparaître un «effritement relativement récent de la paradoxale stabilité du catholicisme culturel chez les plus jeunes générations».
Prima Aballo, 22 ans, étudiante à la maîtrise en agroéconomie, vient à la messe tous les dimanches. Croyante et pratiquante, elle a des amis qui ne partagent pas forcément ses convictions religieuses mais avec qui elle entretient tout de même de bonnes relations.
« Plusieurs de mes amis viennent de la communauté religieuse mais ma meilleure amie n’est pas croyante. On en discute ensemble, elle fait semblant de comprendre, je l’invite à la messe mais elle a toujours des excuses pour ne pas y aller », raconte-t-elle en souriant.
Comme son amie, beaucoup de Québécois se montrent indifférents à la pratique de la religion. « Très souvent, mes amis d’université s’en foutent, témoigne Gabriel Phénix, 23 ans, président de l’association évangéliste Pouvoir de changer. Ils me disent « Toi tu vas à l’église le dimanche, moi je vais au golf le dimanche, c’est pareil” ».
Pour Jean-Bernard Rousseau, cela s’explique par le fait qu’au Québec, « la foi relève de la vie privée ». Parfois même jusqu’à devenir un sujet absent : « Certains voudraient plus exprimer leur foi mais ici, ce n’est pas nécessairement quelque chose dont on va parler. C’est la fameuse phrase « on ne parle ni de religion ni de politique « .»
Madeleine Gauthier, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique en Urbanisation, Culture et Société, a écrit un article scientifique sur le phénomène religieux chez les jeunes. Contactée par téléphone, elle nous indique de ne pas être étonnée de l’indifférence de la jeunesse québécoise face à la religion : « Aujourd’hui, notre société est davantage tournée vers des valeurs de liberté et d’individualité où chacun est plutôt libre de croire et de pratiquer la religion qu’il veut dans sa vie privée ».
Désengagement religieux et indifférence
Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas. En étudiant la question dans les années 90, Mme Gauthier remarque une rupture dans la pratique de la religion : « Dans les années 70 et 80, il y a un abandon progressif du catholicisme. La Révolution tranquille amène un désengagement du religieux dans les services d’États comme les hôpitaux ou les écoles et à titre individuel, on sort peu à peu du cadre institutionnel, des rituels et de la morale tant en gardant des valeurs chrétiennes. La religion relève de plus en plus d’un choix personnel. »
Jean-Philippe Dubé-Goupil, 29 ans, se rend les dimanches à la messe à l’Université. Cet étudiant à la maîtrise en théologie regrette que les jeunes n’aient pas beaucoup d’informations sur la religion : « Leurs parents s’en sont départis il y a trente ou quarante ans, donc ce n’est pas une culture qui s’est transmise à travers le temps. Les jeunes ne viendront pas puisqu’ils ne connaissent pas la communauté. »
Moins de jeunes se tournent alors vers la religion mais surtout moins de jeunes s’y intéressent. Gabriel Phénix a des amis croyants et non-croyants. « Mes amis de bac sont comme la majorité des Québécois, ils ne veulent pas forcément se positionner par rapport à la spiritualité », souligne-t-il. De son côté, Valérie Hamel-Genest, 22 ans, étudiante protestante en études internationales et langues modernes, ressent cette ignorance sur la religion comme une « barrière » : « J’ai toujours le sentiment que je dois à tout prix me justifier ».
Avec sa communauté et ses amis croyants, pas besoin de le faire. Elle est comprise et partage les mêmes valeurs : « ma communauté religieuse me permet d’échanger sur mes points de vue sans jugement, notamment quand il y a quelque chose concernant la religion que je ne comprends pas. » Même situation pour Gabriel Phénix : « j’ai des bons amis de mon bac mais on ne parle pas nécessairement des mêmes sujets, nous ne sommes pas nécessairement à l’aise avec les mêmes choses ».
Faire son « coming out » spirituel
Gabriel a d’ailleurs mis plusieurs années avant de confier à ses amis non-croyants qu’il était évangéliste : « La première fois où j’ai dit à un ami non-croyant que j’étais croyant, c’était à ma première année d’université. J’étais terrorisé à l’idée de dire à des gens “Yo, je crois en dieu pis tout” .»
Quand Prima Abbalo explique ses croyances à son amie, celle-ci comprend, accepte mais s’interroge : « Par exemple, elle trouve complètement absurde que l’on prie des saints qui, selon elle, sont des morts ». Les jeunes croyants rencontrent alors des difficultés à communiquer avec des non-croyants. « La pression sociale est encore forte pour se séparer des rites de l’église ou de ce qui était considéré comme une sorte d’encadrement, de carcan qui s’imposait », analyse Madeleine Gauthier. « La peur de s’affirmer dans un groupe vient quand on sent qu’on va se faire faire des objections, qu’on va être contredit et aujourd’hui, la pression sociale exercée par les non-croyants est plus forte que celle des croyants. »
Valérie l’a vécue telle quelle. « Quand j’ai commencé à croire, j’avais peur d’en parler et de me faire rejeter. Je ne voulais pas risquer d’être rejetée alors que je n’étais même pas encore sûre de mon choix de devenir pratiquante. Ce sentiment venait du fait que j’étais nouvellement chrétienne. »
Les valeurs chrétiennes, éloignées des jeunes ?
L’enquête la plus récente du ministère de l’Éducation sur la religion et les jeunes remonte à 1992. Elle démontre que « le pluralisme culturel, l’indifférentisme religieux, les valeurs de la culture économiste dominante et le fatalisme font obstacle à la recherche éthique, spirituelle et religieuse des jeunes ». Jean-Philippe Perreault y voit même un « écueil, un blocage, un empêchement suggérant que l’univers religieux des jeunes est incohérent, voire inquiétant ».
Gabriel Phénix a des groupes d’amis de différentes croyances. Il estime pourtant qu’il y a « nécessairement un écart entre les jeunes pratiquants et les jeunes non-croyants ». Selon l’étudiant, le message du christianisme est toujours d’une manière ou d’une autre « offensant » dans le sens où « même si Dieu t’aime et te protège, ses plans pour toi vont à l’encontre de ce que tu veux faire dans la vie ». Il évoque les nombreuses heures passées devant des jeux vidéo : « Je dois modérer cette activité car Dieu n’aime pas que je fasse ça ». La religion devient alors parfois « un combat contre soi-même » que certains jeunes ne seraient pas prêts à mener.
Depuis son initiation à la foi protestante, plusieurs aspects de la vie de Valérie Hamel-Genest ont aussi changé. « Les choses que je considère mauvaises ont changé, mes habitudes de vie ont changé, moi qui buvais, moi qui faisais le party, ce n’est plus des activités qui m’allument », illustre-t-elle. Elle préfère désormais investir du temps dans sa spiritualité. « Ça m’a isolée des gangs, ça m’a isolée de l’association étudiante dans mon programme universitaire qui font juste boire et où il n’y a aucune amitié solide qui se crée mais j’ai trouvé un cercle d’amis avec qui je partage des choses ».
Même si bon nombre de jeunes chrétiens parviennent à être amis avec des non-croyants, tous s’accordent pour dire que leur communauté religieuse prend une part importante dans leur vie et qu’elle leur sert à grandir tant spirituellement que personnellement. Pour Jean-Bernard Rousseau, c’est alors à l’Église de faire un pas vers les jeunes : « Si les communautés étaient plus vivantes, plus fraternelles, ça aiderait plus de jeunes à s’y insérer, à y prendre part et à sentir qu’ils y ont une responsabilité ».