En mars 2019, trois entrepreneuses de l’Université Laval ont lancé une toute nouvelle monnaie destinée à venir en aide aux plus démunis dans le quartier St-Roch de la ville de Québec. Plus de six mois après le lancement du projet, Jessy Robichaud explique que les objectifs que les fondatrices s’étaient donnés ont été non seulement atteints, mais aussi dépassés, créant par le fait même un manque d’approvisionnement chez les commerces participants.  

C’était le 30 mars 2019 que Jessy Robichaud, Victoria Thân et Alexia Alaux ont lancé la monnaie l’Entrai-dons. Ces jetons, qui coûtent un dollar chacun, permettent d’acheter des cafés, des repas, une nuitée dans un centre d’hébergement ou encore des produits pharmaceutiques dans certains établissements du quartier St-Roch de la ville de Québec. Les gens les achètent et les laissent dans des endroits de partage afin que les plus démunis puissent les ramasser et s’en servir pour ce dont ils ont le plus besoin. 

À noter que, selon les estimations de l’Auberivière, c’est plus de 10 000 personnes en situation ou à risque d’itinérance qui pourrait éventuellement bénéficier de l’Entrai-dons en plus des gens en situation de précarité financière. Le CÉPE (Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion) a également réalisé en 2018 un portrait de la situation de la pauvreté au Québec.

« Malgré la mauvaise météo, le lancement s’est bien déroulé, explique Jessy Robichaud. La journée même, nous avons vendu 500 jetons. Au cours des quelques jours suivants, nous avons vendu le reste des jetons, soit un autre 500. »

Problèmes de circulation

À l’Intermarché St-Roch et à Lauberivière, les gérants font le même constat : les personnes en situation de précarité financière n’utilisent pas vraiment les jetons chez eux. Si  Lauberivière ne vend pas de jetons, car elle récupère déjà d’autres types de dons, la gérante de l’Intermarché St-Roch confirme quant à elle que les jetons partent extrêmement bien : 

« J’ai au moins vendu 1500 jetons depuis le lancement. Le problème, c’est que ça sort, mais ça ne revient pas beaucoup. Pourtant on les distribue aux gens! »

– Nathalie, gérante de l’Intermarché St-Roch

Les donateurs peuvent acheter des jetons à l’épicerie située sur la rue St-Joseph Ouest. (Crédit photo : Léa Harvey)

Monsieur Éric Boulay, directeur général de Lauberivière, remarque la même chose : « Les gens n’utilisent pas vraiment les jetons chez nous. Mais il faut préciser que nous offrons déjà des services gratuits aux gens qui en font la demande [repas, hébergement]. Peut-être donc qu’ils utilisent les jetons ailleurs. » 

« Ce qu’offre l’Entrai-dons est très complémentaire à ce qu’on fait à Lauberivière. De plus, comme c’est une monnaie, ça permet de préserver l’anonymat. Les gens qui sont plus gênés n’ont pas besoin de rencontrer d’intervenants et ils peuvent quand même avoir des services.»

– Éric Boulay

Au Brunet Centre-Ville, troisième partenaire de l’Entrai-dons, Yannick, caissier expérimenté, témoigne de son expérience : « Au début, tout le monde en achetait, on les distribuait et les gens revenaient pour acheter avec [les jetons]. Ça partait tellement bien que nous en avons manqué. Nous ne pouvions plus en commander. Nous avons dû refuser des dons et donc, maintenant, les gens n’en achètent plus vraiment. » Selon les chiffres de la pharmacie, environ 200 jetons ont été vendus depuis le lancement du projet.

Des produits pharmaceutiques et des médicaments sont disponibles pour les consommateurs à la pharmacie en échange de quelques jetons. (Crédit photo : Léa Harvey)

Madame Robichaud, une des fondatrices du projet, explique que la vitesse d’écoulement des jetons était bien au-delà de leurs espérances. Comme les premiers mille jetons qui ont été commandés se sont écoulés très rapidement, elles ont dû passer une nouvelle commande auprès de leur distributeur. « Nous avons commandé 1000 jetons supplémentaires, mais les délais de production sont de plusieurs semaines. Dès que nous les avons reçus, nous sommes allées les porter chez les partenaires. »

Un des plus gros problèmes pour le projet actuellement semble être le manque de circulation avance madame Robichaud. Après discussion avec leurs partenaires, les entrepreneures en sont venues à la conclusion que la monnaie ne circulait pas bien, car les gens les achètent et les gardent dans leur porte-monnaie, Dans d’autres cas, certaines personnes qui les reçoivent se voient interdire l’entrée dans certains magasins à cause de problèmes de comportement qu’elles ont eu dans le passé.   

« Comme toute monnaie, Entrai-dons doit circuler pour bien fonctionner. »

-Jessy Robichaud

Tournées vers l’avenir

Selon Madame Robichaud, la monnaie en est à la phase « projet-pilote ». Les organisatrices attendent donc les commentaires de leurs collaborateurs actuels et des consommateurs avant d’agrandir le territoire de distribution. 

« Lorsque nous aurons la formule gagnante, nous chercherons à élargir le territoire. »

-Jessy Robichaud

Les organisatrices commencent aussi à mettre plus de temps sur le projet qui avait ralenti durant l’été, le projet étant lancé par des étudiantes bénévoles. « Récemment, un nouveau commerce s’est joint aux collaborateurs», explique Jessy Robichaud. La Place一Boutique Gourmande est située dans le quartier St-Roch depuis 30 ans et serait très conscientisée aux problèmes entourant la pauvreté. Les gens pourront y avoir un café en échange d’un Entrai-dons. 

Les créatrices du projet sont aussi présentement en discussion avec d’autres collaborateurs potentiels dans le quartier.