Les femmes canadiennes sont plus de trois cent mille à accoucher chaque année. Pour beaucoup d’entre elles, l’accouchement à l’hôpital semble être un passage obligé. Mais pour certaines, cela a été une expérience traumatisante. Épisiotomies ou césariennes non désirées, infantilisation, manque d’écoute, les témoignages de femmes se sont multipliés pour mettre un terme à ces violences. Face à cela, certaines choisissent d’accoucher en maison de naissance ou même à leur domicile.

Selon un sondage de 2005 commandé par le Ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec, un quart des femmes québécoises souhaiteraient accoucher en maison de naissance ou chez elles. Là, elles espèrent avoir la possibilité de vivre leur accouchement dans des conditions plus en phase avec leur volonté, loin des protocoles des hôpitaux.

Yamina Benzellat a accouché en maison de naissance de son deuxième enfant. Là, elle se souvient : « Nous avons pu mettre de la musique, j’ai pu prendre mon bain comme j’ai pu. J’étais dans ma bulle, c’était un très beau moment. » (Crédit photo : Irina Lafitte)

Marie-Hélène Lahaye, blogueuse et auteure belge en tournée au Québec début octobre, a recueilli de nombreux témoignages de femmes depuis qu’elle a commencé à s’interroger au sujet des violences obstétricales.

« Le fait même de médicaliser un processus qui se passe bien dans la majorité des cas produit des violences. Des femmes ont reçu des insultes, on leur parlait de façon infantilisante. Ça pouvait aller jusqu’à des actes qui étaient des scènes de tortures, on a utilisé des forceps sans les endormir ou effectué des révisions utérines (vérification de l’expulsion totale du placenta, ndlr) sans les prévenir », Marie-Hélène Lahaye

Pour elle, les femmes qui choisissent d’accoucher en maison de naissance ou chez elles « sont dans une démarche de réappropriation. »

Caroline Couture, Yamina Benzellat et Paula Beaulieu ont toutes décidé de franchir le pas. Elles témoignent de leurs expériences :

(Crédit audio : Mélanie Merlin)

Les sages-femmes offrent différentes méthodes d’accouchement. Caroline Couture, mère de trois enfants, confirme : « Dans la gestion de la douleur, les sages-femmes sont très ouvertes sur les différentes méthodes. Certaines femmes accouchent sous auto-hypnose. Les sages-femmes sont formées et s’adaptent et peuvent proposer diverses options. » Des options qui ne sont pas toujours proposées en hôpital.

Selon le rapport de juin 2018 de l’agence nationale de la santé publique du Canada, beaucoup de comportements qui devraient être encouragés sont encore bannis à l’hôpital : « Les femmes devraient être encouragées à bouger, à marcher et à s’installer confortablement pendant la première phase du travail. Se mouvoir « au cours du premier stade du travail réduit la durée du travail, le risque de césarienne et le besoin de péridurale », continuent les auteurs du rapport.

Marie-Andrée Morisset est sage-femme à la Maison de naissance de la Capitale-Nationale à Québec, l’une des douze maisons de naissance de la province. Elle confirme donner une plus grande souplesse aux femmes qui accouchent là. Par exemple, elle peut « suivre des femmes qui désirent un accouchement vaginal après une césarienne, ce qui n’est pas toujours offert en hôpital. »

La sage-femme détaille la philosophie des maisons de naissance :

(Crédit vidéo : Irina Lafitte)

Cette volonté de liberté est ce qui a poussé Caroline Couture à accoucher en maison de naissance une fois puis chez elle à deux reprises. « Pour moi, accoucher à la maison, c’est se sentir en sécurité. On se crée un nid. Si je désire quelque chose,  je n’ai qu’à demander à mon conjoint ou à aller le chercher. »

Les maisons de naissance existent depuis 1999 au Québec. A cette époque déjà, des voix s’élevaient pour un accouchement dans le respect. Marie-Andrée Morisset faisait partie des pionnières. « Sous la pression, le gouvernement a décidé de légaliser la pratique de sage-femme. Après l’avoir étudiée en tenant en compte de la sécurité, de la satisfaction des parents et des coûts, la pratique fut définitivement légalisée en 1999. Au final, cela s’est révélé aussi sécuritaire qu’à l’hôpital, avec moins d’interventions et le tout pour un coût moindre qu’un accouchement en hôpital. » En effet, les sages-femmes réalisent moins d’actes médicaux comme l’épisiotomie, la césarienne ou l’utilisation de forceps pendant l’accouchement, comme le montrent des statistiques, sur le Réseau des sages-femmes. Quelle que soit la méthode utilisée, l’accouchement est entièrement pris en charge par la sécurité sociale.

Des risques souvent surestimés

Malgré la demande, seulement 2% des femmes ont la possibilité d’accoucher en dehors de l’hôpital, faute à la pénurie de sages-femmes mais aussi aux craintes du grand public pour ce mode d’accouchement encore méconnu. Marie-Hélène Lahaye affirme que cela repose sur « l’utilisation de la peur et la tenue d’un discours sur les risques pour obliger les femmes à accoucher en hôpital. » Paula Beaulieu a elle aussi fait face aux réticences mais a tenu bon et accouchera en maison de naissance : « Ma sœur m’a dit que j’étais courageuse d’accoucher sans péridurale, dans la douleur. Sauf que pour moi, c’est vivre l’accouchement pleinement et de manière consciente. »

Les sages-femmes suivent les femmes en santé, à l’exclusion des grossesses multiples. (Crédit photo : Mélanie Merlin)

Les maisons de naissance font une sélection des candidates à l’accouchement afin de  diminuer les risques de complications. Les femmes dont les grossesses sont considérées comme à risque pourront alors toujours accoucher en hôpital. Pour son premier accouchement, Yamina Benzellat a été transférée de la maison de naissance à l’hôpital : « En cas de transfert, la maison de naissance nous explique les risques. Le problème est le manque de communication de l’hôpital. Le protocole hospitalier exige que l’on soit allongée. Et dans mon cas, j’accouchais debout. Le non-respect du protocole les faisait paniquer. »

Malgré une demande d’interview, l’association des gynécologues et obstétriciens du Québec n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

  Pour aller plus loin

  Depuis que le monde est monde, Documentaire (Canada, 1981) de Louise Dugal, Serge Giguère et Sylvie Van Brabant.

  L’arbre et le nid, Documentaire (Canada, 2013) de Valérie Pouyanne.

  Le bébé est un mammifère, Michel Odent, 1990, Editions L’instant présent.

  Une naissance heureuse: bien vivre sa grossesse et son accouchement, Isabelle Brabant, 2013, FIDES